Un hommage sera rendu à Joaquim Aubert Puigarnau par le biais d’une exposition rétrospective à la Médiathèque François-Mitterrand du mercredi 28 septembre au samedi 8 octobre 2022.

Joaquim Aubert Puigarnau (Barcelone, Espagne, 1941), plus connu sous le nom de KIM, est l’un des dessinateurs les plus respectés d’Espagne, avec une brillante carrière couronnée de prix et la reconnaissance unanime du public et de la critique. Offrant un dessin méticuleux et singulièrement détaillé, il se distingue par sa capacité à entrer dans les scènes qu’il dessine, comparable à celle de Ricardo Opisso, dessinateur et illustrateur post-moderne espagnol issu de l’école catalane de caricaturistes.

Fils d’un père réprimé par le régime franquiste, Kim commence sa formation à la Faculté des Beaux-Arts de Barcelone et s’intéresse d’abord à la peinture, mais son talent pour le dessin lui permet rapidement de publier dans certaines des revues qui, à la fin des années 1970, renouvellent le paysage de la publication périodique espagnole. La première d’entre elles est Vibraciones (1977-1982), qui lance la rénovation du journalisme musical du pays et où, comme la plupart des auteurs qui l’entourent, Kim commence sa carrière en tant que dessinateur inspiré par les bandes dessinées underground américaines. Il participe par la suite à des revues telles que Mata Ratos (1965-1977), Por Favor (1974-1978), El Víbora (1979-2005) et Makoki (1982-1993). Et alors que Kim publie ses premières histoires, l’hebdomadaire satirique El Jueves (1977) est fondé, succédant à d’autres magazines tels que Hermano Lobo, Barrabás et El Papus, et constituant un point de rencontre pour les auteurs qui renouvellent l’humour graphique pendant la Transition espagnole. Pour ce magazine, aujourd’hui le dernier survivant du boom de la BD pour adultes en Espagne, il crée sa série « Martínez el Facha ». Kim lui-même raconte comment le personnage est né par hasard. Du fait de la liberté d’expression de la démocratie récemment retrouvée, on cherchait à créer pour le magazine différents personnages qui devaient, semaine après semaine, devenir les figures habituelles de la revue. Étant arrivé en retard à la réunion où les auteurs se distribuaient les personnages, il se retrouva alors obligé de prendre celui qu’aucun autre dessinateur ne voulait. C’est ainsi que naît le personnage de Martínez el Facha —Martínez le Facho—, personnage qui, prenant vie dans les deux pages hebdomadaires écrites et dessinées par Kim sans interruption pendant plus de trente ans pour El Jueves, non seulement devient rapidement le personnage le plus populaire de la revue mais entre aussi dans l’histoire de la bande dessinée de son pays. Cette satire de l’extrême droite espagnole a, depuis, donné lieu à plus de vingt albums.

Outre son attachant et odieux Martínez el Facha, Kim a publié dans le magazine El Jueves près d’une centaine de parodies de films pendant trois décennies, des années 1990 à 2011, dans la série intitulée « Las pelis de tu vida » —« Les films de ta vie » —. Bon nombre de ces planches ont été compilées sous la forme d’un livre portant le même intitulé, Las pelis de tu vida (Diábolo Ediciones, 2011). Cette série de parodies des sorties de films les plus populaires du circuit de distribution cinématographique espagnol a commencé avec la parodie du film Out of Africa, en 1985, en suivant le modèle des parodies du magazine américain Mad. Adoptant cette même approche sans préjugés, le dessinateur catalan revisite des films commerciaux tels que E. T., Titanic, Il faut sauver le soldat Ryan et plusieurs autres de Pedro Almodóvar en les soumettant à son prisme graphique déformant et hilarant, et en y ajoutant des références à l’actualité politique et locale.

C’est également presque par hasard que Kim est passé de l’humour graphique aux romans graphiques. Une rencontre à Vitoria avec le scénariste Antonio Altarriba et le besoin qu’éprouvait ce dernier de raconter l’histoire de son père, qui venait de se suicider à l’âge de 90 ans, ont conduit à la genèse d’un livre pour lequel Kim commença par faire de nombreuses esquisses. La dureté du récit que lui soumettait Altarriba a conduit Kim à créer un dessin épuré, sans les habituelles rayures qui alourdissent le trait et rappellent un style plus underground. Le dessinateur voyait le synopsis qu’Altarriba lui avait envoyé comme celui d’un film néoréaliste en noir et blanc. Brut comme l’après-guerre et le monde rural de l’Espagne noire. Et, petit à petit, il a commencé à travailler en suivant le long scénario littéraire qui s’offrait à lui, découvrant les histoires jour après jour, au gré des envois du scénariste, dessinant ainsi sans filet et sans savoir ce qui allait suivre. Une façon de procéder qui allait apporter de la fraîcheur à l’ensemble. Le résultat fut El arte de volarL’art de voler—, qui remporta une multitude de prix, dont le Prix National de la Bande dessinée (2010), en Espagne. Kim se révélait être à la hauteur des plus grands dessinateurs espagnols. Le duo Altarriba-Kim se réunit à nouveau pour publier, en 2016, El ala rotaL’aile brisée—, un nouveau portrait de l’Espagne du XXe siècle narré cette fois-ci à travers le regard de la mère du scénariste aragonais.

Son dernier ouvrage, Nieve en los bolsillosUn rêve d’ailleurs—, est un roman graphique autobiographique, un récit initiatique et un tendre hommage à une génération qui a dû quitter son foyer à la recherche d’une vie meilleure. Dans l’Espagne noire des années 1960, à 19 ans, à un an d’un long service militaire franquiste obligatoire dans ce pays où règne l’autorité et la peur, le jeune Joaquín Aubert décide d’émigrer. Après l’expérience, l’année précédente, d’un voyage en auto-stop vers la Suède, il quitte sa ville avec 4 000 pésètes données par sa mère, vêtu d’un jean, vêtement alors convoité —acheté au seul endroit possible à Barcelone, en contrebande sur le port—, d’une chemise en flanelle, d’une veste de marché aux puces et avec un carnet de dessin et quelques crayons dans sa valise, en route pour l’Allemagne. Un pays qui était alors synonyme de libertés et une terre promise pour les émigrants, où « plus d’un demi-million d’Espagnols partirent à la recherche de travail » pour faire face à la misère de leurs familles. De ces mois passés en Allemagne, du partage des expériences et de « la triste vie que menait » une poignée d’entre eux dans une auberge de la zone industrielle de Remscheid, Kim reconstitue les souvenirs, enfouis durant des années au plus profond de sa mémoire, pour ses premiers pas dans le récit autobiographique et son premier et révélateur long récit en solitaire.

Kim a été lauréat du Grand Prix du Salon de la Bande dessinée de Barcelone, en 1995, du Prix international de l’humour Gat Perich, en 2007, du Prix Notaire de l’Humour et du Prix National de Bande dessinée, 2010.

Il prépare actuellement un ouvrage sur la vie de l’homme politique français Joseph Fouché.


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